Nicolas Ragu
Auteur
Comédien
Metteur en Scène
Extraits de théâtre
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OCULUS (extrait) de Nicolas Ragu
Elle a pas voulu, la femme Peule. Elle a pas voulu l’enfant qu’elle a eu, Elle a pas voulu l’homme qui lui a laissé l’enfant dans son ventre, Elle a pas voulu hurler pour ne pas les réveiller tous Elle a même pas voulu pleurer, Elle a gardé les yeux ouverts à en crever, Elle a laissé les larmes de désert ensabler son regard, Elle a senti ses lèvres s’assécher, Sa peau fossiliser la douleur, La sueur de l’étranger creuser des rides à sa mémoire, Elle a pas voulu les cris, le bruit, L’a garrotté en elle, Egorgé, vidé dans le sable, Creusé sous la tente, Attrapé les globes oculaires Incisé les pendantes, Remplacé les yeux par les couilles bien calées au fond des orbites, Et les couilles par les pupilles mortes. Tout ça à l’aveugle, le regard empierré. N’a plus eu qu’à espérer le ventre plat. N’a pas voulu, le ventre, rester plat. S’est agité. A cru à la vie, le ventre. A rondi. Elle ne pouvait plus voir, la femme peule, seulement poser ses mains hors de ce ventre plein. N’a plus pu chasser ses mains de son ventre, Alors a pressé, appuyé, écrasé son ventre à le vider, A chassé la vie d’elle, le souvenir de l’homme, Que jamais cela ne recommence. A reposé ses mains mortes sur son ventre fini. A cessé d’être Peule, a cessé d’être femme, N’est plus restée que cendre. Allez Papa, va, va porter son repas à la femme Peule, Et garde tes couilles au chaud pour ta femme.
Chut ! Ecoute ! Ecoute ta musique ! Ecoute en toi ! Si je te creusais en flûte, tu me chanterais un air… Je rêverais peut-être en t’écoutant, Je rêverais tellement que je m’endormirais… ! Alors le silence… le silence du sommeil… Le silence quand j’arrêterais de te jouer… en m’endormant, Ce silence là de ta musique qui se tait doucement, me ferait dormir d’un sommeil de merveille, un sommeil où la musique est un silence qui berce. Comme sur un très petit bateau, au bord du bord de l’eau, doucement bercé par le courant. Si je te creusais en flûte, tu deviendrais bateau. On entendrait siffler le vent au-dessus du clapot. Un bateau sans cabine, sans mat et sans toit, juste toi et moi, toi, petite coque de noix, et moi, endormi en cale de toi. Si je te creusais en flûte… Si je te creusais bateau, tu ne serais pas cargo, Tu ne serais paquebot, seulement très petit canot. Ancienne cale de poutre, é-chan-ti-gnolle tombée à l’eau, portée par le courant, devenue cale de bateau… Si je te creusais bateau. J’embarquerais sur ton dos, on prendrait l’eau et on partirait sur l’écume des rêves. Tu serais galion, je serais pirate, on affronterait les tempêtes, on traverserait l’océan de la rivière et on découvrirait le Nouveau Monde dans la prairie en face. Si je te creusais bateau, tu me ferais marin, capitaine, aventurier des songes… explorateur ! Mais tu es bien trop petit pour être même un petit bateau. Tu es juste assez grand pour abriter mes rêves d’enfants, mes rêves de ce que tu pourrais être. Si tu étais plus grand. Mes rêves que je ne rêve plus, maintenant que je suis grand.